DVD
Publié le 20/09/2008 à 12:00 par houseofgeeks
Après Spielberg, McTiernan, Siri, Carpenter, c'est au tour de Johnnie To d'être touché par le syndrome du « si simple, si évident » qui empêche toute analyse poussée de leur œuvre. C'est ainsi que Breaking News se voit considéré au mieux comme un simple produit commercial qui a du style.
Vous me direz, c’est déjà pas si mal. Cependant, le travail de mise en scène est trop souvent occulté derrière l’apparente facilité qui se dégage des films de tous ces grands auteurs. Sans doute est-ce la marque la plus apparente de leur génie qui consiste à faire oublier la complexité de leur scénographie. Mais lorsqu’on écrit sur le cinéma, on a tout simplement pas le droit de se borner à une réflexion superficielle.
Afin de financer des projets plus personnels, Johnnie To se fend régulièrement d’œuvres plus commerciales capables de mobiliser les foules. Les petits rigolos du fond sont priés de ne pas remplacer « Johnnie To » par « Luc Besson ». Si grammaticalement la formulation est correcte, cinématographiquement ça n’a plus aucun sens !
Breaking News fait donc à priori partie de cette deuxième catégorie. Rien d’infâmant là dedans. Ce qui laisse perplexe certains de voir ce film sélectionné en 2004 au festival de Cannes. Après sa découverte par l’occident en 1999 avec The Mission, To obtient là une forme de reconnaissance de son immense talent. Malgré tout, le film reste hors compétition officielle, son statut de simple polar d’action devenant rédhibitoire dès lors que le travail de mise en scène de To est envisagé. Et pourtant…
Avec Breaking News et au-delà de scènes d’action magistrales (Ah, ce plan séquence inaugural !), d’un discours assez convenu sur les médias, une fois encore Johnnie To se fend d’une putain de leçon de cinéma ! Faisant du mogul hongkongais un autre éminent représentant de ce « cinéma du milieu », ce cinéma alliant succès public et projet de mise en scène où l’un se nourrit de l’autre et inversement.
Film d’auteur commercial
Mais avant de revenir sur le fameux plan séquence, rappelons brièvement l’histoire (Note du Rédacteur : dommage que l’on ne soit pas payé au caractère ! Note de L’Ouvreuse : dommage que vous ne soyez pas payé du tout !!-).
Suite à une fusillade entre forces de l’ordre et gangsters filmée par une équipe de télé présente par hasard sur les lieux, la police apparaît aux yeux de l’opinion publique lâche et incapable. Afin de redorer son blason, une opération est menée afin de débusquer les malfaiteurs le tout filmé par les policiers munis de caméras. Rebecca, jeune lieutenante en charge du dispositif, semble maîtriser les sources visuelles d’entrée et de sortie puisque le montage des images sera effectué à l’attention des médias par une équipe de spécialistes (attachée de presse/réalisateur/compositeur). Jusqu’à ce que les bandits répliquent en filmant et diffusant via le net leurs propres images…
Pensé avant tout comme un film commercial, l’emploi de Richie Jen, star de la chanson locale en est une preuve, To ne peut s'empêcher d'y poursuivre ses expérimentations.
Ainsi le film s’ouvre sur un plan séquence de près de huit minutes. Avec très peu de dialogues mais une grande maîtrise spatiale, To nous présente les deux factions antagonistes, les gangsters se préparant pour une opération et les policiers en planque chargés de les appréhender. Bien vite, une fusillade s’enclenche et la caméra va littéralement nous la faire vivre de l’intérieur, virevoltant d’un bout à l’autre du cadre tout en conservant un temps d’avance sur l’action.
Oui, vous l’avez sans doute lu, entendu, pensé vous-même, cette première séquence est impressionnante et géniale de par sa composition et ses mouvements. Or, plus qu’une simple réussite formelle, ce plan-séquence illustre la note d’intention du cinéaste.
Sa caméra placée au cœur de l’action passera indifféremment d'un camp à l'autre et, à aucun moment, ne sera prise de tremblements. L’absence de décadrage et de coupe dénotant d’une totale compréhension et maîtrise de son art, au contraire du montage heurté et manipulateur de Rebecca, la jeune flic chargée de coordonner les opérations sur le terrain.
To va ainsi constamment confronter sa mise en scène au montage médiatique opéré par Rebecca. Chaque scène tournée par le réalisateur se voyant reformulée en une version tronquée. Une passe d'arme visuelle qui atteindra son point d'orgue lorsque Rebecca montre lors d'une conférence de presse improvisée un visage déterminé d'abord cadré par la caméra, puis enserré dans un écran de télévision, lui même cadré par la caméra.
Cette subtile mise en abyme aura échappée à bon nombre, préférant se focaliser sur le discours critique, mais bien plus ironique, sur la manipulation des images. Un « great show » orchestré de main de maître par Johnnie To.
Crise d'identité
Pourtant, ce film sera considéré par beaucoup comme mineur. Certes, les séquences d'action dans les coursives de l'immeuble demeurent esthétiquement saluées et parviennent à instaurer une certaine tension mais l'audience oppose comme grief un manque d'audace narrative et thématique. Une critique empêtrée dans une grille de lecture conventionnelle du film d'action hongkongais dont Johnnie To reproduit ici les codes (et les tics ?) pour mieux servir son véritable propos : une leçon de cinéma assenée au protagoniste tentant de prendre en charge la réalisation.
Une attitude compréhensible si l'on considère que Breaking News est sorti après le délirant Running on Karma (2003) où Johnnie To et son compère Waï Ka-Faï expérimentaient de manière plus démonstrative les ruptures de ton et le mélange des genres dans ce récit où un moine bouddhiste bodybuildé (Andy Lau) tentait de sauver une jeune policière de son mauvais Karma.
Or Breaking News ne se montre pas moins audacieux même s’il le fait de manière plus discrète.
L'ouverture du film n'est pas seulement grandiose, elle définit par l'image l’opposition gangsters/flics de prime abord évidente mais qui se perçoit ici dans le mouvement. Les premiers sont calmes, tirent à découvert quand les seconds se mettent à l’abri pour riposter. Et si les bandits se sentent aussi en sécurité, c’est parce qu’ils bénéficient de la mise en scène de To. Protégés au sein d’une réalisation fluide, ils seront mis en danger par le montage télé.
Suprême ironie, les gangsters s’échappent du cadre à la fin de ce plan-séquence en prenant possession d’un camion de flics. To énonçant en huit petites minutes que chaque position peut se substituer à une autre. Soit que tout est une question de point de vue.
Utilisant le biais de sa réalisation, To va également s’amuser avec Rebecca par l’entremise des autres protagonistes eux-mêmes. Plus qu’une leçon de cinéma, il va lui donner une leçon de vie.
La jeune lieutenante apparaît ainsi intransigeante, déterminée voire obtuse et voulant tout maîtriser, ses sentiments comme ses actions. En éternel joueur, To va constamment brouiller la perception que nous avons de l’action (les split-screens montrant des actions parallèles) et des personnages, ceux-ci pouvant être interchangeables. L'inspecteur Cheung (Nick Cheung) et Yuen (Richie Jen), le leader du gang développant une certaine ressemblance physique et une même détermination à accomplir chacun leur mission. De même, Yuen s’avère très proche du tueur à gage rencontré fortuitement dans cet immeuble pris d’assaut : même passion pour la cuisine, même charisme. De sorte, que leur amitié naissante leur fera dire que l’un pourrait faire le « boulot » de l’autre. Un brouillage identitaire que To oppose au brouillage médiatique que tente d’imposer Rebecca. Celle-ci se retrouvera désarçonnée face à des proies passant brusquement de 4 à 6, l’entrée dans le jeu de Yip (Lam Suet) et de ses deux enfants, l’inspecteur Cheung qui n’en fait qu’à sa tête, Yuen qui parasite l'action de Rebecca en exploitant lui aussi les images et la séduction qui s’opère entre eux deux. Sa capacité de réaction étant puissamment testée par Johnnie To toujours aussi à l’aise dans le mélange des genres. Ce dernier parsemant son polar de scènes d’action, intimistes ou humoristiques sans que cela nuise au rythme et à la narration, bien au contraire.
Si tout le monde s’est appesanti sur le plan-séquence introduisant le film, peu auront remarqué celui qui vient presque le conclure. Ce deuxième plan séquence intervient lorsque Rebecca et Yuen sont dans le bus, poursuivis par l’inspecteur Cheung sur une moto. Une séquence où se développera à la fois l’humour (une moto dont le bruit du moteur associé à son éloignement dans le cadre la fera apparaître comme une mouche tenace), l’intime (les deux personnages discutant à mots couverts de leurs relations amoureuses) et l’action (Yuen et Cheung échangeant des coups de feu), en une parfaite synthèse de tout ce qui aura précédé.
Mais plus important, ces deux plans placés en début et fin de métrage montrent que To encadre la réalisation de Rebecca. Signe que la mise en scène de cinéma maîtrise celle du montage télé.
Et si au final les policiers prennent physiquement le dessus, la conclusion laissera Rebecca dubitative. Incapable de comprendre les véritables intentions et motivations des gangsters. Donc de Johnnie To qui s’est clairement identifié à eux.
Avec Breaking News, Johnnie To livre plus qu’un polar ludique et rythmé, il signe un fantastique exercice de style entièrement voué au plaisir du public et dont la simplicité apparente n’a d’égale que la prise de risque permanente. Brillant, inventif, virtuose et passionnant…va falloir l’écrire combien de temps encore pour que l’on s’intéresse vraiment à ce réalisateur tant analytiquement qu’en diffusant plus largement ses œuvres ?
Et comme toujours, direction L'OUVREUSE (http://www.louvreuse.net) pour retrouver cet article avec plus de photos et bien d'autres choses intéressantes !
Publié le 28/08/2008 à 12:00 par houseofgeeks
Rassurez-vous, il n'est pas question ici de vous parler du poème écrit au 17ème siècle par John Milton. Ou alors c'est que vous vous êtes trompé de site ! Non, nous allons bien parler du film de John Stockwell dont le 1er titre Turistas annonçait d'emblée la teneur du spectacle : une dysenterie horrifique et exotique ! Et oui, finalement se sera tout un poème...
Le cinéma d'horreur est un genre cyclique par excellence. Dès qu'un film rencontre du succès, vous pouvez être sûr que son sujet et/ou sa structure seront déclinés. En 1997, Scream avait relancé l'intérêt pour les slashers bientôt suivi par des ersatz plus ou moins foireux (Souviens toi l'été dernier, Scream 2 et 3...).
Le genre initié par Saw, à savoir le film de torture (psychologique ou physique), n'échappe pas à la règle. Mais c'est l'excellent survival Wolf Creek de Greg McLean qui impose ses règles et ses codes. Une longue exposition avant que des jeunes soient capturés et subissent les pires sévices par un sadique intégral. S'ensuivit le passable Hostel de Eli Roth qui reproduira la structure en l'agrémentant d'une organisation secrète proposant à ses riches membres, contre un gros paquet de fric, l'ultime amusement de leurs mornes existences : torturer à mort de jeunes victimes.
Et là, ça a dû mouliner dans la tête des exécutifs, toujours à l'affut du moindre moyen de capitaliser sur un genre émergeant. Alors donc, ils amalgament Hostel et Wolf Creek et situent l'action en Amérique du Sud. Paradise Lost voyant des touristes américains partis à la découvertes du brésil avant de tomber sur une équipe de rabatteurs teufant sur une plage paradisiaque et qui les précipitent sous le scalpel d'un chirurgien spécialisé dans le prélèvement d'organes sur touristes et bimbos égarés (et pas seulement mammaires !).
Comme à son habitude Stockwell livre un film superbement photographié mais qui peine à impliquer le spectateur. La faute incombant à un manque de rythme, une direction d'acteurs approximative (seule Melissa George tire son épingle) et une violence graphique atténuée et peu convaincante.
D'abord envisagé pour une sortie salles, le film nous arrive directement en dvd. Et à voir la jaquette, il semble que seul le marketing ait bénéficié d'une certaine attention ! Stockwell a acquis une petite renommée via ses films « aquatiques » Blue Crush (histoire d'amour à trois dans le milieu du surf) et Bleu d'enfer (Into the blue en V.O : chasse au trésor et thriller sous-marin) ce qui n'a pas échappé aux commerciaux qui se sont empressés de pondre un visuel proche de celui de Bleu d'enfer tandis que l'accroche de TF1 Vidéo (étonnant, non ?) met en exergue : « Le nouveau thriller sexy du réalisdateur de Bleu d'enfer ».
Mais le plus dommageable demeure que Paradise Lost flatte les sentiments de méfiance et de peur les plus primaires pour tout ce qui se situe hors des frontières sécurisantes de l'Amérique. Le film présentant le Brésil comme un pays peuplé d'arriérés, de biatch ou de médecin tarés, des autochtones indignes de confiance. Bref, un véritable cauchemar pour WASP ricains. Une vision ethnocentrée malheureusement habituelle pour nos amis d'outre-atlantique dès lors qu'ils envisagent toute ouverture vers l'Autre.
Si encore Stockwell avait signé un bon survival horrifique. Las, c'est loin d'être le cas. Brassant les pires clichés et autres situations convenues, le film ne suscite l'intérêt que dans la dernière séquence anxiogène. Une poursuite à travers une galerie de grottes sous-marines où les protagonistes ne parviennent à respirer in extremis que grâce à des poches d'air. Une séquence remarquablement efficace et à la tension croissante. Stockwell n'est décidément à l'aise que dans son élément : l'eau. Bien trop peu cependant pour justifier la vision ou l'achat du dvd.
ATENTION NOUVEAU, retrouvez cette critique sur le site belge cinemafantastique.be
Publié le 04/08/2008 à 12:00 par houseofgeeks
S’il avait fallu attendre plus d’une décennie pour voir des films éminemment réflexif et pertinents sur le conflit vietnamien, les années 2000 semblent générer un temps de maturation beaucoup plus court. Une décennie de la vitesse accélérée où tout concourt à donner un rythme frénétique à l’existence - déplacements, consommation, téléchargements, tout est plus rapide. Il n’est qu’à voir les films prenant pour sujet la politique étrangère étasunienne, et plus prosaïquement les deux conflits en Irak, qui se sont régulièrement succédés. Dernièrement, le rythme s’est notablement accéléré entre la fin d’année 2007 et le 1er trimestre 2008 puisque ont débarqué une kyrielle de films sur ce sujet brûlant. Lions et agneaux , Dans la vallée d’Elah , Battle for Haditha , Redacted. S’il ne prend pas directement pour cadre le conflit irakien, Le royaume en explore les fondements, déroulant des relations américano-arabes plutôt tendues.
Un film pour le moins exceptionnel car venant du réalisateur de Welcome to the jungle, difficile de présager une telle intelligence dans l’exécution. Un traitement sans nul doute dû à Michael Mann intervenant ici à titre de producteur. Au-delà de la légitimité qu’apporte un tel nom, l’influence du maître à filmer est palpable. Notamment dans cette volonté de confronter chaque protagoniste à ses certitudes et ses doutes. Si l’on reste assez éloigné de la finesse psychologique de Heat ou Révélations, sous ses airs d’actioner bas du front, Le Royaume se révèle moins caricatural et plus subtil qu’énoncé lors de sa sortie.
Petit rappel de l’intrigue. Une équipe d'agents du FBI emmenée par Jamie Foxx enquête sur un attentat à la bombe ayant tués des ressortissants américains sur le sol saoudien, dont deux agents. Et pour cela ils doivent se rendre sur place, ce qui vu les relations entre les deux pays n'est pas gagné d'avance. Ils ont beau être américains, ils vont devoir se plier à certaines concessions diplomatiques. Désormais, la résolution ne passera pas exclusivement par l’action mais aussi et d’abord par la persuasion et la négociation.
Les experts : Riyad
Le ton est donné dès le générique, énonçant clairement et précisément la situation géopolitique unissant ces deux pays. Soit des relations entièrement consolidées autour d’intérêts pétroliers.
Ensuite, l'attentat (en deux temps) en question est proprement ahurissant de réalisme. La réalisation, le montage, l'intensité et la violence font de ces premières séquences des modèles du genre.
Evidemment, l’enjeu sera de retrouver et punir les coupables. Une intrigue classique et sans surprise. A priori.
Seulement voilà, avant de tout faire péter, il va falloir convaincre les plus hautes autorités de l’Etat de l’utilité de cette enquête. Pas d’action clandestine, tout se fera au grand jour et principalement sur un terrain diplomatique.
Et parce que les relations diplomatiques sont au point mort, et du fait de cet attentat aussi meurtrier qu'impressionnant, un climat de tension permanente règne. Ce qui n’empêche pas Fleury et son équipe de se montrer condescendant avec les locaux, de démontrer qu’ils sont meilleurs que les arabes pour mener une enquête, qu'ils veulent le bien de tous, etc. Mais avant de jouer "les experts" en vadrouille au Proche-Orient, nos agents vont devoir composer avec des protocoles pour le moins restrictifs. Et gagner la confiance de leur homologue saoudien, le colonel Al Gahzi, qui avoue ne rêver que de tuer les responsables. Une attitude quelque peu réactionnaire pour quelqu’un qui apparaît comme un "libertaire frustré" par le système militaire. Et première saillie dans les stéréotypes que le film mettra à mal.
C’est d’ailleurs l’une de ses grandes forces, utiliser nombre de poncifs du genre pour mieux les exploser par la suite. Comme ces personnages archétypaux qui semblent véhiculer de prime abord une pensée et une vision colonialiste du monde particulièrement nauséabonde. Une imagerie agrémentée par ce plan large nous présentant la fine équipe alignée, encadrée par les militaires mais au centre de l’image, avançant d’un pas déterminé au milieu des autochtones anonymes. Une image que le film se bornera sans cesse à briser.
De même, Le Royaume n'appuie pas lourdement sur les ressentiments et la tristesse légitimes de certains des protagonistes, et en présentent d'autres sous des côtés finalement plus sombres que prévus. Ainsi, l'aspect émotionnel lié au drame personnel vécu par le personnage de Jennifer Garner est traité de manière extrêmement pudique, ne versant jamais dans le pathos à outrance et déplacé.
Autre changement notable, Berg nous montre les conséquences de cet attentat du côté saoudien et la détermination du colonel Al Ghazi à retrouver les coupables. Autant pour préserver des relations fragiles que par rejet de tout fanatisme, qu’il soit institutionnel (l’armée) ou religieux.
Une fraternisation impossible ?
Les interactions sont envisagées sous un angle moins simpliste qu’à l’accoutumée et dont le mérite est d’assujettir l’action. Les tractations diplomatiques et le travail d'enquête semblent donc remplacer toute frénésie libératrice jusqu’à ce que le convoi ramenant les américains à l’aéroport soit attaqué et un des leurs enlevé. Dès lors, on passe à un autre registre narratif qui sera illustré par une réalisation plus hachée. Caméra à l’épaule, cadres resserrés, montage de plus en plus fractionné. Un dispositif idéal pour une immersion totale. Et offrant ainsi 30 dernières minutes remarquables, une plongée directe en pleine guérilla urbaine où la topographie des lieux et les tireurs embusqués rendent la situation encore plus anxiogène. L’alternance des plans de l’otage, dont le sacrifice est prêt à être filmé et vu par le monde entier, avec ceux montrant ses coéquipiers aux prises avec les terroristes afin de le libérer, dilate le temps « réel » et favorise ainsi une tension allant crescendo. Loin d’avoir la maîtrise spatiale de Mc Tiernan, Berg parvient pourtant à créer un environnement délétère et menaçant et des scènes d’action efficaces et prenantes.
Refusant le « tout-action » comme toute simplification des enjeux - tuer les « méchants » ne résoudra rien au final - ou un retour à un status-quo sécurisant, Le Royaume montre à quel point chacun est convaincu que l’autre ne rêve que de le détruire.
Pourtant, la fraternisation est possible comme le démontre Fleury et son homologue saoudien. Malheureusement, cet espoir sera bien vite liquidé (au sens figuré comme au sens propre !), dans un final aussi spectaculaire que tétanisant. Le plus déchirant étant que cet anéantissement viendra de la main d’une fillette.
Le Royaume intègre donc un contexte international où l’interventionnisme et le droit d’ingérence se doivent d’être plus mesurés. Mais la situation, la fiction, ont-elles bien changées ? Le temps des gendarmes du monde bodybuildés est certes révolu mais nos agents (dont une femme) restent sévèrement burnés et bien décidés à ne pas se laisser emmerder, que se soit par leur administration ou un prince saoudien.
Si Le Royaume semble aussi porté sur la bipolarité de relations pour le moins ambiguës entre les états-unis et l'arabie saoudite c'est qu'il est le reflet d'une vision manichéenne véhiculée et acceptée par nombre d'américains, quand bien même, de rapports en révélations, la situation réelle est plus complexe. Surtout, le film a ceci de remarquable que parmi la ribambelle de pellicules prenant pour cadre l’après11 septembre, il est le premier à donner forme à ce désir de revanche consécutif à l’effondrement des tours jumelles. Mais pas question de défoulement cathartique. Au contraire, Le Royaume dé-réalise le fantasme ultime des faucons de Bush Jr qui tentent de nous vendre un choc des civilisations qui n'a pas lieu d'être.
Malgré toute la meilleure volonté du monde, il demeure un mur d'incompréhension culturel qui engendre une violence aveugle ou fanatique. Différentes causes, mêmes maux.
"on les tuera tous." ? Ok, mais après ? Une impasse idéologique dans laquelle Berg n’hésite pas à envoyer ses personnages.
Loin d’être un film aux relents nauséabond et aux scènes d’action jouissives et décérébrées, Le Royaume ose énoncer un constat d’échec dans la lutte contre le terrorisme et saisit in fine une posture post-11 septembre beaucoup moins altruiste.
Un film à ne pas négliger et à (re)découvrir dans votre salon..
Publié le 08/01/2008 à 12:00 par houseofgeeks
Dernier film en date de William Friedkin qui s’avère être un sacré choc à tous les points de vues. Que ce soit sur le fond et la forme, papy Friedkin (71 ans au compteur) en remontre à certains d’jeuns quand il s’agit de foutre mal à l’aise le spectateur et d’aller dans la radicalité la plus totale..
Alors qu’il ne bénéficiait pas d’un « buzz » ou d’une « hype » conséquente par rapport à certaines autres productions, et en retrouvant un système de production cher à l’esprit frondeur des seventies (dont Friedkin est issu) c'est-à-dire budget limité, peu d’acteurs, pas de stars, unité de lieu mais une liberté de ton totale et un contrôle absolu de l’œuvre, voilà qu’il nous pond un film malade et halluciné (voire par moments hallucinant !) digne de Philip K. Dick, un chef d’œuvre viscéral et intense. Mais pas seulement….
Adaptant une pièce à succès et reprenant son interprète principal (Michael Shannon impressionnant), le film s’attache à nous faire vivre au plus près l’inexorable descente en enfer d’un couple de naufragés de la vie. Mais loin d’être apathique et statique (c’est pas du théâtre filmé !), la réalisation de Friedkin épouse parfaitement l’état d’esprit des personnages. Que ce soit des travelling latéraux à l’extérieur qui font peser une menace sourde ou ses décadrages lorsque la caméra suit au plus près les personnages dans leurs déplacements et leurs délires. De même que son expérimentation, notamment dans les cadres, permet de composer de véritables tableaux (d’)hallucinés.
Un film où nous est donné à voir le génie de Friedkin à l’œuvre, s’appropriant une histoire au parti-pris plutôt casse-gueule (deux personnages dans une chambre d’hôtel minable qui à force de délires paranoïaques pètent un plomb), pour livrer un film magistral. Bien que proposant des plans et des séquences hors de cette chambre, tout concourt en fait à nous enfermer de plus en plus dans la psyché torturée des personnages. Au-delà de simples respirations narratives, ces scènes extérieures nous ramènent inexorablement à l’intérieur.
Renouant avec ses thèmes de prédilection, obsessions morbides, pulsions destructrices, contamination du mal, perte d’identité…, on ne peut pas dire que sa démarche relève d’un opportunisme forcené.
Agnès (Ashley Judd enfin convaincante) recluse dans une chambre miteuse d’un motel perdu en plein désert, n’arrive pas à faire le deuil de son fils disparu et vit dans l’angoisse permanente de voir débarquer son ex-mari violent qui vient de sortir de prison.
Arrive un étrange voyageur, Peter (Michael Shannon) à qui elle va finir par se donner corps et âme…
Toute la presse s’est extasiée devant la séquence d’ouverture nous montrant le lieu de l’action vu d’un hélicoptère, d’abord de loin puis se rapprochant de plus en plus pour finalement se focaliser sur la chambre que l’on ne quittera pratiquement plus. Séquence magistrale certes puisque annonciatrice de la teneur paranoïaque du métrage (qui surveille, qui approche, qui téléphone avec insistance ?....) plongeant d’emblée dans l’ambiance.
Mais c’est oublier le premier plan furtif qui ouvre le film. On y voit une pièce où les murs et les meubles sont recouverts de plastique, un cadavre gisant par terre, le tout baignant dans une lumière bleutée semblable à des U.V. Un plan qui parasite d’entrée le film, puisque l’on s’interrogera constamment sur la manière dont on y arrivera. Un parasitage à l’image de ce que provoquera le personnage du vagabond Peter dans l’existence d’Agnès et qui conduira au pire.
Bug signifie insecte comme ceux qui grouillent soi-disant sous la peau des personnages. Mais il signifie également micro caché. C’est donc l’état d’esprit de l’Amérique post 11 septembre qui est ici attaqué. Une Amérique qui vit enfermée entre quatre murs car persuadée d’être assiégée par une menace omniprésente et invisible.
Cette obsession sécuritaire prend la forme d’un esprit qui imagine que son corps a été parasité par l’Autre.
Car d’emblée on sait que les insectes que Peter croit voir n’existent pas. Si au départ le doute était permis, très vite on assiste au dévoilement de sa vraie nature paranoïaque. Le but premier du film n’est pas de nous faire douter de la vraisemblance ou non de son histoire mais bien de montrer comment un esprit fragile, en perte de repères en vient à accepter la folie de l’autre.
On en revient alors à l’unique sujet qui traverse sa filmographie que se soit « l’exorciste », « le convoi de la peur », « police fédérale L.A » ou « Traqué » : la possession, ses conditions de possibilité et ses ravages.
Comme dans tout film de Friedkin, « BUG » suit un processus de contamination. Le personnage d’Ashley Judd accepte elle-même de basculer dans la folie de Shannon. Ce basculement intervient alors qu’il lui raconte son histoire tandis qu’elle s’est réfugiée dans les toilettes. Quand finalement elle en sort, elle se jette dans ses bras et la pièce se met à trembler de plus en plus, le bruit des pâles de l’hélicoptère devient assourdissant, la pièce est baignée dans une lumière aveuglante (le projecteur de l’hélico ?) limite stroboscopique, et tandis qu’on a l’impression que le monde s’écroule autour d’eux, elle tend la main vers sa tempe et saisit un de ces insectes imaginaires. Par ce simple geste, elle accepte de partager son obsession mentale. A la menace d’un monde violent (disparition de son fils, ex-mari brutal), elle préfère un monde fantasmatique dont les lignes de démarcation sont vacillantes mais où elle trouve l’amour.
Et oui, « BUG » est aussi une incroyable histoire d’amour. Un amour possessif et total qui rend Agnès imperméable à toute tentative de la ramener à la raison.
Et Friedkin en cinéaste jusqu’au-boutiste ne rechigne pas à montrer les conséquences extrêmes qu’un tel amour couplé à une paranoïa maladive engendrent. Voir la séquence insoutenable où Shannon se triture la mâchoire à la recherche d’un hypothétique micro, ou le dernier quart d’heure tout entier lorsque la folie consume finalement et littéralement les personnages et le film.
Une œuvre magistrale qui emprunte autant à David Lynch (la séquence où tout bascule pour elle mais aussi ces moments de latence, d’attente qui font monter la pression et augurer du pire) qu’à Mc Tiernan dans sa manière de filmer les face à face des personnages comme des séquences d’action à l’instar de « Basic ». Friedkin transcendant ainsi son huis-clos pour en faire un film incroyablement immersif.
Contrairement à ce que nombre de critiques pensent, « BUG » est moins un film paranoïaque (le doute sur un éventuel complot est assez vite levé) que sur la paranoïa elle-même. Comment elle se propage et ce qu’elle implique comme tourments émotionnels autant que physique. Les années passent et Friedkin reste toujours aussi inventif et virtuose. Libéré des contingences hollywoodiennes, il livre un film vraiment impressionnant tant dans son traitement visuel que par sa résolution radicale. Une véritable expérience à vivre, de laquelle on ne sort pas indemne.
Publié le 08/01/2008 à 12:00 par houseofgeeks
Bientôt en DVD, Blue-ray et HD. Achat indispensable pour tout fan de film d'horreur ou cinéphie qui se respecte.
Première réalisation de Julien Maury et d’Alexandre Bustillo et déjà une vraie réussite. Pourtant, c’était loin d’être gagné. D’une part parce que venant du milieu de la critique (pour le sieur la bustille), l’envie d’utiliser un max de références peut s’avérer futile et handicapant pour l’histoire elle-même (cf Christophe ans, Doug Headline). D’autre part parce que arriver à financer un pur film d’horreur en France tient vraiment de la gageure. Toujours considéré (à tort) comme un genre mineur, le film de trouille peine à séduire les critiques recherchant à justifier leur plaisir par un discours méta-textuel sur la nature humaine, la société ou le genre lui-même, comme les spectateurs blasés par des purges comme les B-movies (sauf Maléfique) ou les ratés « Promenons-nous dans les bois » ou « Ils » (mais pas inintéressants visuellement).
Le film existe aussi grâce au succès rencontré par Alexandre Aja (« Haute tension ») ici ou outre-atlantique (« la colline a des yeux ») et à toute une frange de nouveaux venus nourris depuis l’enfance aux films de genres (horreur, mais aussi polar, fantastique, kung-fu, etc) et qui parviennent à s’installer dans le paysage (Florent Emilio Siri, Gans, Koonen, Marc Caro, et bientôt Xavier Gens et Yannick Dahan).
En l’occurrence « A l’intérieur » a-t-il sa place aux côtés de ses illustres prédécesseurs ?
Grand dieux, oui !!
Porté par l’enthousiasme indéfectible de ses deux réalisateurs, le film s’appuie sur les performances magistrales d’Allison Paradis (la sœur de qui vous savez) et surtout une Béatrice Dalle transfigurée. Histoire minimaliste – une jeune femme (Paradis) à la veille d’accoucher est harcelée par une femme en noir (Dalle) qui veut lui prendre son enfant à naître à même le ventre – unités de temps et de lieu (une seule nuit dans la maison de la victime), bref tous les ingrédients pour faire un huis-clos étouffant au possible. Nous sommes loin du climat de paranoïa qui baignait le dernier film de Friedkin « Bug ». Ici, c’est un affrontement violent, sans concession. Les autres personnages intervenant (la mère, l’ami, les flics) ne sont que des prétextes pour des scènes de meurtres. Mais alors quelles scènes ! Car pour bien nous montrer de quoi est capable cette femme en noir, le hors-champ est proscrit et c’est avec rage et détermination qu’elle poursuit son but ultime.
Mais attention, ce n’est pas du gore jouissif comme « Brain dead » où on se marre et applaudit aux exploits sanguinolents. Non, là on craint vraiment pour la vie de l’héroïne. Et ce jeu du chat et de la souris est magnifié par une photo de toute beauté et un travail remarquable sur les ombres et l’obscurité, accroissant un climat déjà oppressant.
Si le film est parsemé de références (figure du vampire, Halloween, le giallo….), elles ne le parasitent jamais et s’intègrent parfaitement à l’intrigue. Point faible, le fait d’utiliser les émeutes en banlieue fin 2005 comme contexte socio-politique. Un climat déliquescent et de violence comme justification aux actes de cette femme ? Dans tous les cas, cette assertion sera contredite pat la « révélation » finale. Surtout, cette datation enlève tout caractère intemporel au métrage. Du moins au début. Car une fois la traque lancée, on oublie vite ce qui peut se passer à l’extérieur.
Il faut voir Béatrice Dalle bouffer l’écran ! Une présence incroyable mais qui n’éclipse pourtant pas celle de Paradis qui nous évite le traditionnel registre de la scream-queen. Elle souffre presque en silence, de sorte que lorsque les coups reçus lui arrachent des cris, on est vraiment pris aux tripes.
La grande réussite du film, outre de nous présenter des sévices toujours plus « raffinés » (de la tentative d’éventration au ciseau on passe à l’aiguille à tricoter !) est d’être en perpétuelle évolution narrative. Ça commence comme un film d’assaut, on poursuit dans le survival domestique pour petit à petit basculer vers l’abstraction et le conte onirique. Pour s’achèver dans le cauchemar le plus noir.
Alors, ne boudons pas notre plaisir. Certes, ce n’est pas ce film qui va révolutionner le genre ou qui lui apporte une certaine réfléxivité mais bordel, à l’heure actuelle, trouvez-moi un petit film aussi radical et viscéral ?
Et puis, rien que pour Béatrice Dalle et la virtuosité pour filmer la mort, ce film mérite le détour. En tous cas, il ne mérite vraiment pas les commentaires de critiques n’ayant vu que débauche de sang ridicule et vaine, ou pire un bon gros Z de samedi soir. Ceux-là n’y connaissent vraiment rien en termes de grammaire cinématographique.
Alors attendez de voir ce qu’ils vont pouvoir dire après visionnage de « Frontières » de Xavier Gens (survival campagnard où une bande de voyous des cités se retrouve séquestrés en pleine cambrousse par une famille de nazis cannibales !!!).
« A l’intérieur » est un grand petit film. Et des petits films comme ça, j’en veux toutes les semaines !
Publié le 27/12/2007 à 12:00 par houseofgeeks
Réputation sulfureuse, succès dans tous les festivals où il a été projetté, « DOG BITE DOG » est enfin distribué en France. Mais en dvd. Encore une fois, la frilosité et l’incapacité des distributeurs français à apprécier une œuvre autrement que par des catégories (polar, horreur, S.F,comédie…) et une grille de lecture bien définies, priveront ce film d’une large distribution. Jetez-vous donc sans attendre sur ce film inclassable et incroyable de radicalité.
Le réalisateur Soi Cheang n’est pas le plus connu des cinéastes de Hong-Kong. Beaucoup moins prolifique qu’un Johnnie TO ou déjanté qu’un Tsui HARK, il peut sans peine briguer à une reconnaissance équivalente. Son précédent film (inédit jusqu’alors et sorti depuis peu, là aussi en dvd) « Love battlefield » étant annonciateur du renouveau opéré dans le cinéma de l’ex-colonie britannique. Fini l’ironie ou les débordements extravagants. Place à la peinture d’une société hong-kongaise en pleine mutation où le sentiment de désespoir le dispute au doute et à la fragilité émotionnelle, le tout rythmé par des affrontements aussi violents que sanglants.
« Dog bite dog » s’affirme donc comme une alternative on ne peut plus radicale et inhabituelle. Mais le taxer de film renouvelant complètement l’industrie locale est cependant exagéré. TO a tout de même livré avec son diptyque sur les triades « Election I et II » (ses meilleurs films) une vision moins ludique mais plus adulte et plus politique de la confrontation d’idéologies antagonistes.
Mais il est vrai que le film de Soi CHEANG étonne par ces sentiment d’urgence et de rage qui l’imprègnent.
Une machine à tuer débarque sur l’île pour exécuter un contrat, tuer une avocate influente. Mais dès la mission remplie, il croise la route de l’inspecteur Waï qui n’aura de cesse de le poursuivre, pour se venger de la mort de son co-équipier en même temps que cette traque sera le moyen pour lui d’exorciser ses sentiments ambivalents (amour/haine) envers son père dans le coma, flic modèle et corrompu.
Le tueur interprété par Edison CHEN (acteur surtout employé dans des rôles exploitant sa belle guele) est un véritable animal. D’ailleurs, il a été élevé dans ce sens. Orphelin cambdogien, il a été recueilli dans une ferme d’élevage bien particulière. En effet, ces enfants sont entraînés et conditionnés à se battre continuellement. Pour se nourrir, pour survivre. Une origine relatée dans le film via les extraits d’un documentaire en noir et blanc, afin de renforcer la réalité et le tragique de la situation. Un véritable chien que l’on nourrit en fonds de cale avec une gamelle et que l’on ne sort que pour tuer. Etonnante référence à « Danny the dog » (de Louis Leterrier) qui prendra ici une toute autre dimension radicale. Ici pas trace d’infantilisme bessonien.
Pas non plus de dimension esthétisante. Les affrontements sont loin d’être des ballets chorégraphiés. Ce sont de véritables combats de rue : sales, des corps à corps brutaux et des mises à mort aussi expéditive que dégueulasses. Une ambiance loin d’être fun mais qui ne se complait pas pour autant dans une violence aussi glauque qu’abrupte. Cheang adoptant toujours la bonne distance pour filmer ces oppositions. Pas de ralentis ostentatoires ou de gros plans gore. Le réalisateur se contente de nous asséner de sacrées claques sans nous plonger le visage au milieu de ces amas de chairs tuméfiées ou explosées.
Et l’option de filmer en grande partie de nuit et dans des ruelles crasseuses ou des quartiers semblant avoir été désertés par tout vie sociale et humaine augmente cette impression de déliquescence, d’abandon de la ville à des meutes enragées. Enorme travail sur la photo (contrastes saisissants, sources d’éclairages naturelles) et la bande son (aboiements et grognements de chiens de plus en plus prégnants).
Mais ce qui défini par dessus tout ce film, au-delà de sa violence, c’est ce jeu des vases communicants entre ce flic psychopathe et ce tueur impassible. Tandis que l’un se déshumanise à force de voir son monde s’écrouler (son père qu’il a lui-même mis dans le coma après lui avoir tiré dessus pour l’arrêter, ses collègues qui se détournent de lui à mesure qu’il devient plus incontrôlable), l’autre se sociabilise au contact d’une jeune fille rencontrée dans un décharge publique. Une évolution inverse qui rendra d’autant plus douloureuse la confrontation finale.
Il est intéressant de noter que la figure patriarcale constitutive de la société hongkongaise (et donc chinoise) est sacrément mise à mal et remise en cause. Le père du flic qui en lieu et place d’un modèle d’intégrité se révèle être un dealer, la jeune fille dont le père abusait sexuellement d’elle et le père adoptif du tueur qui n’est avant tout que le propriétaire du chenil.
Et plutôt qu’un pensum auteurisant sur la propagation de la violence, sa réception, Cheang explore plusieurs pistes sans jamais en privilégier une, affirmant par là-même que les causes sont multiples.
Mais au final, quelque soit la voie choisie, il faut payer le prix d’une existence vouée à (l’auto)destruction. Une séquence finale sans concession et d’une noirceur abyssale.
Un film indispensable qui se révèle une pertinente réflexion sur la propagation de la violence. Contaminante (l’équipier de Waï qui à son tour se met à tabasser un indic) ou héréditaire, voir ce plan final, véritable pavé dans la mare.
Publié le 13/12/2007 à 12:00 par houseofgeeks
Mc T dans la tourmente puisque condamné à purger une peinde prison ferme. Et puisque l'on parle de lui pour réaliser un futur film sur Conan, revenons sur son dernier film sorti en 2003.
"Basic" est encore un putain de chef-d'oeuvre !
Même mieux, c'est une véritable ode à l'intelligence et aux émotions des spectateurs.
Mais loin de révolutionner le film d'action (de toute manière il l'a déjà fait !), c'est bien un film recentré sur les personnages et leurs relations. Même si il y a certaines scènes de "combat" qui feraient baver de jalousie n'importe quel faiseur hollywoodien (genre Michaël Bay par exemple.) tant leur découpage précis implique totalement le spectateur. Tellement précis qu'il se permet le luxe de modifier à chaque fois la signification d'une scène rien qu'en changeant d'angle ! Du génie à l'état pur. Parce que ce film tourne autour d'un règlement de comptes en pleine jungle panaméenne raconté par deux survivants et cela donne 5 versions minimum des évènements !
Même s'il n'était pas mentionné au générique, on reconnaît à coup sûr la patte de Mc T. Que se soit dans la façon de présenter le "héros" en 2 plans significatifs ou de donner toute son importance au non entendu ; une réminiscence, dans toute son oeuvre, de l'importance du langage parler comme vecteur de compréhension aussi bien de l'intrigue que du procédé de réalisation lui-même.
Car il se permet d'opérer des changements de points de vue par l'image (scène vue différemment selon le personnage) et par le son (dialogues inaudibles suivant la distance où se trouve le personnage).
"Basic" que Mc Tiernan considère comme un petit film est bien plus qu'un énième "whodunit" ou "thriller militaire", c'est à un véritable ride d'émotions que nous convie le réalisateur. Ici, le plus important n'est pas l'aboutissement de l'histoire mais bien toutes les péripéties qui y mènent !
Si la fin est finalement logique, c'est le morcellement de l'action par les "souvenirs" plus ou moins authentiques des protagonistes et les nombreux rebondissements qui emportent l'adhésion. Car à chaque élément nouveau, aucune réponse n'est donné immédiatement par le réalisateur . C'est à nous spectateurs de faire les liens et déductions nécessaires. Proprement exaltant.
Et ce "petit film" amorce peut être une plus grande révolution dans le cinéma même de Mc Tiernan. Sans rien dévoiler, disons que l'on se focalise sur le personnage de Travolta et que progressivement c'est celui de Connie Nielsen qui prend le dessus. Celle-ci est de l'avis de tous incapable de mener l'enquête et sa mise en retrait va la révéler. Au héros Mc Tiernien par exellence (t-shirt, cigare au bec et allure désinvolte) se substitue ici une héroïne plus réfléchie mais au caractère tout de même très affirmé (Mc T. style !).
Ce qui reste encore le plus intéressant est le caractère réflexif que porte ce film sur l'oeuvre entière de Mc T. et plus généralement sur le médium cinéma lui-même. En effet, par ces nombreux effets de mises en scène, ces interrogatoires filmés comme autant de "combats" (de personnalités) et le twist final en forme de sourire ironique ; le film s'interroge au final sur les conditions de l'élaboration d'une fiction. En clair, c'est à une véritable leçon de cinéma que nous convie le grand Mc T.
Et pour s'en convaincre, il n'y a qu'à voir Travolta qui avec sa gueule marquée, un peu bouffi et les cheveux très courts ressemble à un Mc Tiernan plus jeune de 20 ans. Ce cinéma dans le cinéma fait penser à un dramaturge italien Pirandello (mort en 1936) qui par ses pièces proposait un théâtre dans le théâtre. D'ailleurs on ne peut résumer "Basic" que par le titre d'une de ses oeuvres : "A chacun sa vérité" .
Publié le 11/12/2007 à 12:00 par houseofgeeks
Ancien concepteur chez ILM, réalisateur de clips, lancé par le controversé et mal-aimé « Alien 3 », Fincher explose avec le dépressif « Seven ». Les films suivants confirment son habileté formelle mais dans son exploration plastique, il en oublie la cohérence et la fluidité de la narration. « Panic room » sonnant le glas d'un formalisme devenu plus important que l'histoire à raconter.
« Zodiac » est donc l'occasion d'un retour aux sources. Il renoue avec le genre qui lui apporta la renommée (le film de sérial killer), comme avec un cinéma qui a quelquechose à dire (et pas seulement à montrer): le cinéma estampillé seventies, décidément à la mode en ce moment sur les écrans
C'est surtout une aubaine pour Fincher qui utilise le travail du Zodiac dans l'imaginaire collectif comme une métaphore du cinéma des années 70.
Prenant pour sujet la traque, pendant près de 20 ans, du plus célèbre sérial killer de San Francisco, Fincher ne se contente pas de ressasser 2 décennies de cinéma américain, il en propose un usage actuel.
D’emblée, on pense aux films-enquête des années 70, « les hommes du président » (Allan J. Pakula – 1976) en tête. Car plus qu’au meurtrier, le réalisateur s’intéresse avant tout au fonctionnement des institutions (médias, police).
Plaçant le spectateur au coeur de l'action, l'enquête prend vite des proportions insoupçonnées. Les ellipses temporelles permettant de construire un rythme trépidant et où l'énergie déployée par chacun est proportionnelle aux nombreuses pistes à explorer. Les séquences de meurtres absolument magnifiques plastiquement parlant, se chargeant d’instaurer un climat oppressant.
L'envergure et la durée de l'enquête érode peu à peu l'enthousiasme d'autant que le tueur ne donne plus signe de vie et passe à l'arrière plan. C'est l'heure de passer à autre chose, de poursuivre une autre voie. Mais certains comme l'inspecteur Toschi reste pourtant taraudé par cet échec. C'est pourtant Graysmith le cartoonist qui poursuivra les investigations, contaminé par la même obsession : savoir. S'opère un passage de témoin entre deux générations, deux méthodes. Si l'inspecteur, même persuadé de la culpabilité de Allen contre qui les preuves s'amoncellent et s'emboîtent comme par magie (voir l'intense scène de son interrogatoire dans l'usine où il travaille), se plie au verdict de l'épreuve scientifique (l'écriture ne correspond pas), Graysmith reprend tout depuis le début, compulse frénétiquement toutes les archives et suit son instinct, se focalisant sur les signes à déchiffrer.
Ainsi, Fincher porte un regard rétrospectif depuis aujourd'hui sur une époque dont on peut enfin mesurer l'évolution.
Mais le cinéaste fait bien plus que de scruter et analyser une période considérée comme le dernier âge d’or.
A l’instar de « Death proof » de Tarantino, Fincher ne se contente pas d’un relookage stérile et vain. Il introduit des éléments perturbateurs concourant à un régime narratif très singulier.
Chez Tarantino, se sont des anachronismes (portables, sms) qui s’intègrent naturellement .
Fincher préfère parasiter subtilement tout le métrage. Ainsi les journalistes du chronicle, les policiers composent un univers cohérent des professionnels de la tradition. Apparaît le dessinateur Graysmith, prototype de l’éternel adolescent, figure récurrente du ciné hollywoodien contemporain. Alors que tous sont touchés par les épreuves et les affres du temps, lui reste physiquement le même. Un autre personnage partage le même sort : Arthur Leigh Allen le présumé Zodiac. Ces deux personnages de deuxième plan traversent tout le film pour au final se retrouver, se confronter, se scruter. Se reconnaître en tant qu’aberrations ?
Au-delà de détails du scénario (une affiche, un film, une attitude), c'est la matière même de l’image qui créé une indistinction entre cinéma et réalité. Une hyper réalité rendue possible par l’utilisation d’une caméra HD dont Fincher fait un usage aussi passionnant que chez Mann. La matière numérique de l’image figurant un monde nouveau, indéchiffrable aux experts du monde d’avant (journalistes, policiers, graphologues). Le monde du Zodiac.
Cette emprise du numérique contemporain subvertit le récit, les pistes s'évanouissent, les indices prolifèrent, disparaissent.
Comprenant la vanité de la traque, Graysmith va avant tout s'évertuer à le démasquer, le décoder.
Lui seul est le « contemporain » du Zodiac, lui seul est à l'heure du numérique.
Ainsi, le dessinateur fait figure d'alter-égo filmique du réalisateur à la fois par sa manière obsessionnelle de compulser tout ce qui a trait au tueur (Fincher est connu pour sa maniaquerie, son souci du détail) que par sa capacité à utiliser une nouvelle technique (le décryptage/le numérique).
C'est armé de modèles fictionnels que le criminophile (le cinéphile) atteindra son but. Et que Fincher aura réussi à transformer la matière filmique grâce à une parfaite adéquation de la technique ici entièrement au service de l’histoire.
Dans une époque dominée par l’image (de soi, que l’on donne, que l’on perçoit), la réalité devient indistincte. Inextricablement mêlés, la fiction et le réel s’influencent au point qu’il devient nécessaire d’inventer une nouvelle façon de les penser.
« Zodiac » est une oeuvre de genre avant tout mais pas seulement. Outre qu’il s’avère une enquête passionnante et prenante (les 2h30 passent incroyablement vite), le film se donne également comme une réflexion sur les films des années 70 et la manière de les percevoir.
Dans une société contemporaine travaillée à la fois par sa représentation et la réception de cette figuration, le cinéphile (et plus généralement l'homo-médiaticus) semble le seul à même de la décrypter. Quitte à perdre pied avec la réalité, à couper tout lien social et affectif dans une boulimie complétiste et analytique comme dans le cas présent.
Publié le 06/12/2007 à 12:00 par houseofgeeks
Soit le titre original de la nouvelle de cet immense auteur Philip K. Dick et qui a inspiré Ridley Scott pour son chef-d'oeuvre "All time" : Blade runner.
Une méga édition ultimate collector de la mort est sortie le 5 décembre. Edition de 5 dvd, commentaires audio, les 5 versions du film (le final cut de 2007, le workprint, la version US, la version internationale et la version longue de 1992) , une image et un son remasterisés, des galettes pleines à craquer de bonus...
Blade runner, sorti en 1982 est à la fois un film noir ouvertement influencé par les personnages de Bogart et qui transpose ses codes et son ambiance dépressive et déliquescente à un pur univers de S.F.
Le tout réhaussé d'un questionnement philosophique sur le devenir humain de machines sentientes.
Une vision qui rejoint et complète celle de Richard Matheson (autre grand écrivain du genre) qui s'interroge sur ce qu'est être humain.
Quel intérêt de sortir 5 versions ? Tout simplement afin de mesurer à quel point ce film (et par extension le livre dont il est tiré) offre d'alternatives narratives et pour avoir une vision aussi complète que possible de ce chef-d'oeuvre sorti il y a 25 ans et qui n'a pas pris une ride !
Inutile d'ajouter que cette édition est indispensable à tout cinéphile qui se respecte.
Publié le 06/12/2007 à 12:00 par houseofgeeks
Encore un film honteusement passé inaperçu et également sorti fin 2006. Ces fêtes de noël sont l'occasion de rattraper le coup et de commander le dvd du fantastique "The fountain".Le très beau dernier film de Darren Aronofsky (Pi, Requiem for a dream), avec Hugh « Wolwerine forever » Jackman et Rachel Weisz.
Ou l'histoire d'amour du docteur Créo (Jackman) et de sa femme Izzy (Weisz) s'étendant sur plusieurs siècles, de la période de conquête espagnole des territoires Maya, en passant par le présent pour aboutir à un futur (?) indéterminé. La quête d'éternité d'un homme n'acceptant pas la mort comme une fin en soi.Une histoire d'amour ternie par le cancer dont est atteint Izzy et que ce bon docteur essaye de soigner coûte que coûte, au point de passer à côté de l'essentiel, l'amour justement.
Si l'histoire s'appuie sur trois périodes distinctes, celles-ci se mêlent de manière harmonieuse et envoutante, de telle façon que par moment les frontières entre les rêves, la réalité, les flash-backs et les souvenirs en viennent à se confondre pour livrer au final une histoire émouvante et universelle d'amour immortel.
Un film inespéré dans la production actuelle pour de multiples raisons.
Premièrement, les nombreux écueils rencontrés par le réalisateur pour le montage financier de ce projet. Au départ, Brad Pitt et Cate Blanchette devaient interpréter les rôles principaux. Des acteurs « bankable » qui offraient toutes les garanties au studio en charge de produire. Malheureusement, la défection successive des deux têtes d'affiche fit pérécliter l'entreprise, du moins pour un temps. Entre paranthèse, Brad lâcha quand même le navire parce que pas assez rémunéré à son goût et pour tourner le très respectable « Troie » de Wolfgang Petersen et surtout aller se compromettre avec sa femme dans « M. et Ms Smith » ! C'est à force de motivation et mû par une véritable obsession pour cette histoire que Daren Aronofski persista. Avant la reprise en main du projet permise par la toute nouvelle renomée de Hugh Jackman, le réalisateur s'était asocié avec le dessinateur Kent Williams pour sortir une version dessinée de son scénario. Chose intéressante, cette adaptation en BD (ou graphic novel tant l'oeuvre, dans sa conception, est éloigné des traditionnels comics) est vraiment une version différente du film pourtant basé sur le même scénario.
Deuxièmement, si l'histoire du film est somme toute basique la réalisation est incroyable. Le soin apporté à la composition des plans qui sont une merveille d'esthétisme et la narration certes inhabituelle pour une intrigue aussi simple mais qui renforce le côté onirique et magique de l'oeuvre. En clair, c'est un véritable émerveillement visuel et émotionnel auquel nous avons droit. La mise en scène a beau être très travaillé, elle n'est pourtant pas boursoufflé par trop de lyrisme ou de grandiloquence, le réalisateur reste humble et constamment à hauteur de ses personnages. Cela rappelle même par moment le film « Solaris » (la version originale de Tarkowski, pas le remake de Soderbergh avec Clooney) dans ses moments de comtemplation et d'élévation spirituelle. Car plus qu'une histoire d'amour, on assiste au parcours initiatique du docteur Créo vers une plénitude et un apaisement atteint par sa femme. Dans sa recherche de l'arbre de vie (l'immortatlité donc) il en a oublié l'essentiel, vivre tout simplement. Et à quoi bon passer l'éternité seul quand on peut rejoindre sa dulcinée de l'autre côté ? Acccepter sa fin terrestre inéluctable pour peut être renaître spirituellement.
En un mot, un film ma-gni-fi-que !