Ancien concepteur chez ILM, réalisateur de clips, lancé par le controversé et mal-aimé « Alien 3 », Fincher explose avec le dépressif « Seven ». Les films suivants confirment son habileté formelle mais dans son exploration plastique, il en oublie la cohérence et la fluidité de la narration. « Panic room » sonnant le glas d'un formalisme devenu plus important que l'histoire à raconter.
« Zodiac » est donc l'occasion d'un retour aux sources. Il renoue avec le genre qui lui apporta la renommée (le film de sérial killer), comme avec un cinéma qui a quelquechose à dire (et pas seulement à montrer): le cinéma estampillé seventies, décidément à la mode en ce moment sur les écrans
C'est surtout une aubaine pour Fincher qui utilise le travail du Zodiac dans l'imaginaire collectif comme une métaphore du cinéma des années 70.
Prenant pour sujet la traque, pendant près de 20 ans, du plus célèbre sérial killer de San Francisco, Fincher ne se contente pas de ressasser 2 décennies de cinéma américain, il en propose un usage actuel.
D’emblée, on pense aux films-enquête des années 70, « les hommes du président » (Allan J. Pakula – 1976) en tête. Car plus qu’au meurtrier, le réalisateur s’intéresse avant tout au fonctionnement des institutions (médias, police).
Plaçant le spectateur au coeur de l'action, l'enquête prend vite des proportions insoupçonnées. Les ellipses temporelles permettant de construire un rythme trépidant et où l'énergie déployée par chacun est proportionnelle aux nombreuses pistes à explorer. Les séquences de meurtres absolument magnifiques plastiquement parlant, se chargeant d’instaurer un climat oppressant.
L'envergure et la durée de l'enquête érode peu à peu l'enthousiasme d'autant que le tueur ne donne plus signe de vie et passe à l'arrière plan. C'est l'heure de passer à autre chose, de poursuivre une autre voie. Mais certains comme l'inspecteur Toschi reste pourtant taraudé par cet échec. C'est pourtant Graysmith le cartoonist qui poursuivra les investigations, contaminé par la même obsession : savoir. S'opère un passage de témoin entre deux générations, deux méthodes. Si l'inspecteur, même persuadé de la culpabilité de Allen contre qui les preuves s'amoncellent et s'emboîtent comme par magie (voir l'intense scène de son interrogatoire dans l'usine où il travaille), se plie au verdict de l'épreuve scientifique (l'écriture ne correspond pas), Graysmith reprend tout depuis le début, compulse frénétiquement toutes les archives et suit son instinct, se focalisant sur les signes à déchiffrer.
Ainsi, Fincher porte un regard rétrospectif depuis aujourd'hui sur une époque dont on peut enfin mesurer l'évolution.
Mais le cinéaste fait bien plus que de scruter et analyser une période considérée comme le dernier âge d’or.
A l’instar de « Death proof » de Tarantino, Fincher ne se contente pas d’un relookage stérile et vain. Il introduit des éléments perturbateurs concourant à un régime narratif très singulier.
Chez Tarantino, se sont des anachronismes (portables, sms) qui s’intègrent naturellement .
Fincher préfère parasiter subtilement tout le métrage. Ainsi les journalistes du chronicle, les policiers composent un univers cohérent des professionnels de la tradition. Apparaît le dessinateur Graysmith, prototype de l’éternel adolescent, figure récurrente du ciné hollywoodien contemporain. Alors que tous sont touchés par les épreuves et les affres du temps, lui reste physiquement le même. Un autre personnage partage le même sort : Arthur Leigh Allen le présumé Zodiac. Ces deux personnages de deuxième plan traversent tout le film pour au final se retrouver, se confronter, se scruter. Se reconnaître en tant qu’aberrations ?
Au-delà de détails du scénario (une affiche, un film, une attitude), c'est la matière même de l’image qui créé une indistinction entre cinéma et réalité. Une hyper réalité rendue possible par l’utilisation d’une caméra HD dont Fincher fait un usage aussi passionnant que chez Mann. La matière numérique de l’image figurant un monde nouveau, indéchiffrable aux experts du monde d’avant (journalistes, policiers, graphologues). Le monde du Zodiac.
Cette emprise du numérique contemporain subvertit le récit, les pistes s'évanouissent, les indices prolifèrent, disparaissent.
Comprenant la vanité de la traque, Graysmith va avant tout s'évertuer à le démasquer, le décoder.
Lui seul est le « contemporain » du Zodiac, lui seul est à l'heure du numérique.
Ainsi, le dessinateur fait figure d'alter-égo filmique du réalisateur à la fois par sa manière obsessionnelle de compulser tout ce qui a trait au tueur (Fincher est connu pour sa maniaquerie, son souci du détail) que par sa capacité à utiliser une nouvelle technique (le décryptage/le numérique).
C'est armé de modèles fictionnels que le criminophile (le cinéphile) atteindra son but. Et que Fincher aura réussi à transformer la matière filmique grâce à une parfaite adéquation de la technique ici entièrement au service de l’histoire.
Dans une époque dominée par l’image (de soi, que l’on donne, que l’on perçoit), la réalité devient indistincte. Inextricablement mêlés, la fiction et le réel s’influencent au point qu’il devient nécessaire d’inventer une nouvelle façon de les penser.
« Zodiac » est une oeuvre de genre avant tout mais pas seulement. Outre qu’il s’avère une enquête passionnante et prenante (les 2h30 passent incroyablement vite), le film se donne également comme une réflexion sur les films des années 70 et la manière de les percevoir.
Dans une société contemporaine travaillée à la fois par sa représentation et la réception de cette figuration, le cinéphile (et plus généralement l'homo-médiaticus) semble le seul à même de la décrypter. Quitte à perdre pied avec la réalité, à couper tout lien social et affectif dans une boulimie complétiste et analytique comme dans le cas présent.