Je ne sais où en est le record d'entrée de Bienvenue chez les ch'tis (et je m'en cogne !) mais apparemment, le fait que plus de 20 millions de spectateurs l'aient vu induit obligatoirement que l'on se soumette à la volonté populaire qui commande de voir ce film-phénomène. Et donc, piqué par la curiosité et gentiment tancé par des camarades s'offusquant presque d'une non-vision (« quoi ? Toi qui est cinéphile tout ça, t'as pas vu ce film ?! ») je me prêtai au jeu.
J'avoue, la bande-annonce, le matraquage médiatique et mon aversion épidermique de Danny Boon ne m'ont pas mis dans les meilleures conditions pour jauger objectivement la chose. Autrement dit, pour moi des handicaps insurmontables. Des à priori plutôt négatifs, donc.
Au final ? Une comédie sympathique. Pas plus, pas moins.
Mais alors, pourquoi cet engouement (presque) généralisé ? Difficile d’y répondre pour un spectateur lambda ou un aficionados. Ces derniers se retrouvant dans le cri de ralliement « on ne se prend pas la tête, on rit, on s’évade de la réalité… » dès lors que la question de leur plaisir est abordé. Soit, c’est légitime. Je prends bien mon pied à des films d’horreur dégénérés (massacre à la tronçonneuse), des polars asiatiques en vostf en plus (Filatures, Election I et II), des films d’action outrageusement bourrin (Commando) ou des comédies bien régressives (Back to school, 40 ans et tjs puceau) et même des films qui n’en en ont pas l’air (la légende de Beowulf, Speed Racer) ! Pas question pour moi de juger les goûts de chacun. Par contre, rien ne m’interdit de me pencher sur le cas des Ch’tis.
On entend souvent, « ça fait du bien ce genre de film parce qu’on oublie la réalité ». Phrase reprise (à quelques variations près) pour le film de Danny Boon. Pourtant, nous avons affaire là à un film ancré dans le réel, non ? La lumière, les décors, la photo, tout concourt à faire vrai. Même la semi-improvisation des comédiens y participe. Boon dessine donc un univers aux antipodes de celui chamarré et fantasmé du Fabuleux destin d'Amélie Poulain. Comment peut-on s’évader dans un film aussi authentique ? Tout simplement en faisant de Bergues, le pendant nordiste du Paris d’Amélie Poulain. Visuellement différent, ils se rejoignent pourtant dans leur manière de se déconnecter de la réalité.
Dans Bienvenue…, comme chez Amélie, il n’y a pas de place pour la misère sociale ou les minorités, tout le monde est souriant et les bons sentiments sont exacerbés. Mais alors que la démarche de Jeunet était consciente et réfléchie, le film bénéficiant en outre d’une réalisation inventive et surprenante, la réalisation de Bienvenue… digne d’un téléfilm de France 3 tente de crédibiliser les pires clichés en vigueur.
Soi-disant, le film joue justement sur les à priori du Sud envers le Nord pour réhabiliter toute une région. Boon assénant avec toute sa finesse pachydermique usuelle que « il existe en France, une région sympa où les gens parlent avec un drôle d’accent mais sont généreux et chaleureux etc… ». Une saturation de signes (les tartines de maroilles, le char à voile, etc..) renforçent l'ancrage dans une réalité authentique mais perdent au passage toute signification historique et sociale. Autrement dit, on passe d’un cliché à l’autre. Après le sudiste ignorant, inculte, nul géographiquement (le Nord c’est tout ce qui est au-dessus de la Loire), on a le nordiste ouvert, rigolard et serviable qui remet sur le droit chemin ces brebis égarées.
Je noircis le tableau mais il y a tout de même des choses à sauver. Le couple dysfonctionnel de Kad qui ne trouve son équilibre que dans le mensonge ( !) notamment, plutôt bien vu. La mise en scène lors de l’arrivée de la dite femme afin de donner corps aux mensonges justement de Kad. Séquence qui aurait gagnée d’ailleurs à être encore plus délirante.
Reste le problème de la totale disparition de contexte social et historique. Ce que les comédies british gardent toujours dans le rétro afin d’intensifier l’empathie envers les personnages. Alors que le bureau de poste est un des lieux où se côtoient différentes couches sociales et un endroit où se cristallisent parfois les souffrances, ici tout se résume aux problèmes de cœur de Kad ou de Boon. Le bureau de poste figurant ici un espace désespérément ouvert aux seuls tourments sentimentaux de ce méridional expatrié. Aucune résonance collective qui viendrait enrichir le propos. Après, s’être construit une bulle de superficialité dans le sud, Kad érige une autre bulle plus authentique certes, mais bulle tout de même. Alors que la note d'intention de Boon était l'ouverture à l'Autre, le film préfère se concentrer sur la reconstruction d'une identité. Exit le bien vivre ensemble, on préfère à un horizon collectif, un destin individuel. Pourquoi pas après tout, on peut parfaitement y voir une façon de reprendre en main son devenir face à des réformes actuelles et souvent mal vécues. C'est sans doute en partie, l'explication d'un tel succès. La figuration que le monde d'avant (les réformes, l'élection de mai 2007, voire même plus avant) est toujours atteignable. Ainsi, rien dans le village de Bergues ne nous rattache à l'ère contemporaine. Le clocher, le vieux village minier, les allées pittoresques...sont les signes évidents et prégnants d'une a-temporalité sécurisante.
Attention, je ne cherche aucune justification cachée pour légitimer le plaisir pris ou non par de nombreux spectateurs, qui pour la plupart se contentent d'une lecture au 1er degré. Simplement, j'essaye d'identifier ce que, moi, je n'ai pas aimé dans ce film. Et par voie de conséquence reproche à ce film.
Non, le malaise vient de cette impression de réel constamment invalidée par ce traitement à la limite de l'onirisme. En voulant nous consoler d'une réalité difficile, ce film nie le réel. On l'a dit, absence des minorités mais également négation des mutations sociétales quand justement la France doit évoluer et accueillir du mieux possible les migrants. A moins que le Nord, ce ne soit pas la France ?
Ce refus d'affronter le réel est inquiétant. Surtout et même plus lorsque l'on considère que la fiction est d'ordinaire un espace de confrontation confortable. Les films d'horreur, lorsqu'ils sont bien faits, sont un excellent moyen de tester et remettre en cause les changements à l'oeuvre, doublés d'une confrontation avec la mort qui tient lieu d'exutoire. Soit une véritable célébration de la vie (puisque dans ce genre de films les persos meurent généralement de la pire des façons). Vous me direz dans Amélie Poulain également le réel est constamment nié. Oui, mais dans ce cas on se retrouve en présence d'une parabole poétique (une paranthèse enchantée ?) dont le traitement visuel ne laisse aucune place au doute quant à l'appartenance de ce film à un registre de conte de fée.
Finalement, Bienvenue chez les Ch'tis rappelle moins Le fabuleux destin d'Amélie Poulain que Le grand bleu. Celui-ci voyant in fine son « héros » Jacques Mayol (ou sa représentation plutôt) préférer se perdre dans les fonds marins plutôt que d'affronter la paternité et les responsabilités qui vont avec. 20 ans après, même constat alarmant avec ces Ch'tis qui matérialisent un fantasme régressif absorbant le réel. Alors oui, Bienvenue...peut être considéré comme un film culte, voire même générationnel. Faut-il pour autant s'en réjouir ?
"quand justement la France doit évoluer et accueillir du mieux possible les migrants."
Et sur quoi repose donc ce prétendu "devoir" d'accueil ? Sur quelles tables de la loi ? Sur quelle nouvelle religion ?
Pas de religion sur ce blog s'iouplaît !
La déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui constitue le préambule de notre constitution, ça te parle ?
De toute façon, faut-il qu'un sentiment humaniste et altruiste soit inscrit dans le marbre pour exister et s'appliquer ?
Quand je parle de migrants, c'est au sens large du terme. Qu'ils soient étrangers ou bien de cheu nous.
Un commentaire qui me laisse perplexe. Et qui m'inquiète quelque peu.
C'est sûr, c'est tellement mieux de fermer ses frontières nationales et régionales.
Il me semble pourtant qu'un vaste projet politique tente depuis plus de 50 ans d'abolir cette vision étriquée et qui s'appelle l'Europe.
Il est vrai, un concept mal barré avec Sarko et la multiplication des souverainistes.